On connaît mal un pays tant qu'on n'a pas goûté à sa culture, à ses coutumes, à ses manières d'être, à sa cuisine, à sa musique ou à sa littérature. J'ajouterais à cette liste non-exhaustive: "et tant qu'on n'a pas connu non plus sa bureaucratie".
Chaque séjour à l'étranger inclut forcément un contact avec les autorités administratives locales, ne serait-ce que lors du passage des douanes. Dans mon cas, le fait que j'étudie pendant quatre mois dans une université du pays me paraissait annonciateur de nombreuses rencontres avec l'administration publique chilienne! Et, dans une certaine mesure, j'ai été servi!
D'abord, premier contact avec la bureaucratie universitaire. Objectif: m'inscrire à mes cours. Nous sommes habitués au Québec à ce que l'inscription se fasse assez rondement et rapidement par Internet, sauf cas complexes. Ici, au Chili, et même dans une université riche et assez techno comme la Catolica, ben... ça ne marche pas comme ça. À la place, chaque département a une personne ressource auprès de laquelle il faut s'inscrire individuellement. De manière concrète, pour moi, ça veut dire revirer au Campus San Joaquin situé loin du centre, aller à l'Institut de Science politique, trouver la personne en question (une certaine Nora Farfan), faire la file (parce que je ne suis pas tout seul, naturellement) et finalement m'inscrire. Comme tout bon processus bureaucratique, les choses ne vont jamais exactement aussi rondement qu'espéré! Vous vous souvenez qu'à la journée d'accueil, on m'avait conseillé d'aller voir tout de suite à l'Institut de science politique pour mon inscription étant donné que je suis au 2e cycle. Je m'exécute donc après la journée d'accueil et je prends le métro jusqu'au campus San Joaquin. Il est genre 16h45. J'aurais voulu arriver plus tôt: nous avions une pause 13h à 15h, alors je m'étais dit que ç'aurait pu être l'occasion ou jamais. Or, on a eu tôt fait de me préciser que les employés universitaires prennent leur pause dîner... de 13h30 à 15h! On oublie ça pour y aller en début d'après-midi! Bref, je traverse le campus, je cherche l'Institut de science politique. Je finis par le trouver après m'être un peu perdu... Sur place, aucune indication: j'aboutis finalement au Secrétariat de premier cycle. La dame m'indique alors que je dois sortir de l'immeuble, y re-rentrer à gauche pour accéder à un couloir puis trouver le bureau de la secrétaire aux inscriptions, à savoir la fameuse Nora Farfan. Naturellement, avec des indications aussi claires, je me perds à nouveau sur le campus! Je finis par arriver en fin de compte dans le bureau de la bonne personne. Je suis chanceux (enfin je crois): il n'y a personne. J'explique la situation à la dame: elle commence par m'expliquer que les inscriptions ne se feront pas avant demain (!!!) et qu'elle ne peut rien faire pour moi aujourd'hui. Puis, au fil de mes explications, elle semble un peu s'affoler face à ma situation et me dit que pour que mon inscription soit valide, je dois absolument aller voir le professeur responsable de l'Institut de science politique. Inquiet, je me dirige donc au 3e étage où je finis par rencontrer le sympathique et aimable prof en question, qui commence toutefois à me poser des questions bizarres. Voici un extrait du dialogue que j'ai eu avec lui:
- Donc tu es venu au Chili pour faire des cours de maîtrise en science politique?
- Euh... oui...
- D'accord, mais tu n'es pas inscrit à un programme de maîtrise?
- Pas au Chili non, je suis en échange.
- Ok, donc tu veux faire une maîtrise au Chili?
- Euh... Pas exactement... Je suis seulement en échange dans le cadre de mes études universitaires au Québec!
- Aaaaah ok, mais la Catolica ne t'a pas accepté comme étudiant?
- Non non tout est en ordre... (enfin ça devrait? C'est un peu pour ça que je viens vous voir!!)
- Ok mais il faut une autorisation spéciale pour que tu puisses suivre des cours de maîtrise étant donné que tu es au 1er cycle.
- Mais je suis au 2e cycle! Je fais une maîtrise en études internationales à l'Université Laval, je fais une session d'échange ici, la Catolica m'a accepté comme étudiant et je viens m'inscrire à mes cours! (Qu'est-ce qui est si compliqué là-dedans???)
- Aaaaaah ok je vois. Mais je vais quand même devoir t'accepter comme étudiant.
- Ah bon? (Pourquoi est-ce nécessaire, grands dieux, j'ai été accepté comme étudiant en échange par l'Université Laval et par la Catolica il y a des mois de ça!)
- Oui. C'est très simple, tu vas voir. Il faut que tu envoies un courriel à Paulina Court (la responsable des affaires internationales) avec les cours auxquels tu veux t'inscrire, elle me le transfèrera, je vais t'accepter puis je renverrai un courriel à Mme Court qui te répondra que tu peux aller t'inscrire. Ensuite, tu iras voir Nora Farfan pour qu'elle t'inscrive. Je la mettrai en cc. pour qu'elle soit au courant.
- Euh... Ok... Étant donné que je vais envoyer mes choix de cours par courriel, Paulina Court ne pourrait pas envoyer le tout à Nora Farfan pour qu'elle m'inscrive directement?
- Non. Tu dois y aller toi-même. (Sur un ton sans équivoque)
- Ah bon. (Super! Je dois donc perdre une heure demain à redire de vive voix à Mme Farfan mon choix de cours qu'elle aura déjà lu auparavant. Génial!)
Bref, heureusement que j'ai été voir tout ce beau monde, parce que je me demande bien comment j'aurais fait pour savoir que je devais envoyer un courriel pour que quelqu'un accepte pour une 2e-3e fois consécutive que je fasse des cours de maîtrise ici! Pour ceux qui voudraient connaître la suite, tout s'est bien passé. Je suis donc revenu dans le bureau de Nora Farfan, qui m'a rondement inscrit dans mes cours sur l'ordinateur après une attente de 15 minutes (pas mal). Elle m'informe que pour un de mes cours, il y a un choix de deux classes à 2 heures différentes. Elle me demande ce que je préfère, je lui dis que ça n'a pas d'importance, que me conseille-t-elle? Elle me répond de prendre la classe de 18h30 parce qu'elle est moins pleine. D'accord, va pour ça! Sur place cependant, mon prof me dit après les cours que vu mon profil, ce serait mieux que je sois dans la classe de 20h (celle des étudiants en maîtrise) et me demande candidement pourquoi j'ai choisi la classe de 18h30, qui est en fait la classe à laquelle assistent des étudiants de premier cycle ayant choisi quelques cours de maîtrise en fin de bac. Je lui dis que c'est Nora Farfan qui me l'a conseillé... Il sourit en me disant qu'elle a sûrement fait pour le mieux mais qu'elle ne connait pas les compositions des classes! Soupir... J'ai donc eu le plaisir de revoir Nora Farfan pour une quatrième fois!
Drôle de système, tout de même.
Mes contacts avec la bureaucratie chilienne ne se limitent pas à l'université. Par courriel, l'université a averti les étudiants en échange qu'ils devaient régulariser leur statut au Chili dans les 30 jours de leur arrivée au pays, sous peine d'amendes élevées. Ça implique deux choses:
- D'abord, faire enregistrer son visa d'études
- Ensuite, obtenir un carte de résident temporaire
L'enregistrement du visa, d'abord. Pourquoi faut-il faire ça? Aucune idée, franchement. Mais les voies de l'administration publique sont souvent impénétrables. Muni de mon passeport et de mes papiers de douane, je pars donc au centre-ville au Bureau de la police internationale de Santiago. Comme il n'y a pas d'heure d'ouverture sur le site Internet, j'arrive sur place à 15h, question d'éviter la pause-déjeûner. Un gardien m'accueille à l'entrée et s'informe des motifs de ma visite. Euh... je viens enregistrer mon visa? "Ah non, pas aujourd'hui, c'est fermé maintenant!" me répond-il, "c'est ouvert seulement de 8h à 14h chaque jour, reviens demain!"
Bon. Ok, alors. Whatever. Je ne peux m'empêcher de penser à ce moment-là à l'ambassade ouzbèke d'Almaty, inexplicablement fermée les mercredis, jour de notre visite!
Bureau de la police internationale, prise deux, le lendemain. J'arrive à 11h. Cette fois, c'est bien ouvert. Leurs locaux ne sont guère accueillants. C'est sale, poussiéreux et bruyant. Naturellement, l'endroit est plein à craquer de monde debout, assis, formant parfois vaguement des files se rendant à différents comptoirs. Aucune explication, naturellement. Je me mets donc candidement en file, avisant la ligne la plus proche. Quelques conversations avec des compagnons d'infortune me font réaliser que je dois d'abord prendre un numéro. Pour l'obtenir, je dois faire la file vers la caisse, où je dois débourser un certain montant pour couvrir les frais administratifs (tout service se paie au Chili capitaliste). Le brave fonctionnaire me demande mon passeport et les 800 pesos (1,50$) requis, puis me tend mon numéro. Je regarde: j'ai le numéro 530. Je jette ensuite un oeil au tableau indicateur: on sert présentement le numéro 186... Oh. Boy. Je vais moisir ici pendant une éternité, et je n'ai même pas pris de livre. Il est midi. Le caissier m'avait signalé que je pouvais aller manger ou me promener en attendant si je voulais, mais que je devais impérativement revenir avant 14h, au moment où les portes ferment. Je vais donc manger dans un fuente de sodas (un petit resto qui sert des plats typiques chiliens le midi) tout proche, je prends mon temps, et je reviens à 13h. Coup d'oeil sur le tableau indicateur: nous en sommes au numéro... 260. En une heure, seulement 80 personnes ont été servies! J'en ai encore pour des siècles!
J'avise une chaise libre et je m'y installe pour ce que je pense être un bon moment. 15 minutes plus tard, une fonctionnaire passe dans les allées en demandant s'il y a des gens qui viennent pour enregistrer leur visa! Je me lève, je lui dis que c'est mon cas, elle me dit d'aller attendre dans un bureau à part. Quelle chance! J'attends donc en compagnie de quelques personnes, puis mon tour vient. En 15 minutes, le formulaire est rempli sur l'ordinateur du fonctionnaire, au son de la musique salsa-merengue qui sort des haut-parleurs d'une radio du bureau. La fonctionnaire m'informe que je dois aller prendre une photo pour compléter mon dossier. "Va voir n'importe quel guichet, dès qu'il y en a un de libre, il vont s'occuper de toi." Facile à dire! Ils sont tous occupés depuis que je suis entré!! Je vais finalement à l'un des guichets, qui finit par me dire d'aller en voir un autre. Je me déplace, le guichet est occupé par quelqu'un qui pitonne quelque chose sur l'ordinateur... Peu de temps après, j'explique ma situation à la fonctionnaire. Elle tente de trouver mon dossier, me dit qu'il est inexistant (je viens de le faire faire il y a 20 minutes à peine!), le trouve finalement puis bogue sur la cédille dans mon nom. Elle n'arrive pas à trouver la touche "ç", demande l'aide de ses collègues. J'essaie de lui expliquer qu'elle peut se mettre en clavier français, ça ne marche pas... Je lui dis qu'elle peut l'omettre et mettre seulement un "c", que je n'en ferai pas un plat, elle me dit que c'est impossible, qu'il faut vraiment que mon nom soit bien orthographié... Bref, après 10 minutes de gossage, elle finit par trouver la bonne touche. On prend ensuite ma photo puis elle me dit que tout est correct et me tend un bout de papier avec mes informations. C'est un document officiel imprimé de travers, avec ma photo allongée. "Vous aurez besoin de ce document pour faire faire votre carte de résidence temporaire. Suivant!"
Après 3h de tramites (processus bureaucratiques), comme on dit ici, je ressors victorieux, en gardant jalousement au creux de ma main mon précieux bout de carton mal imprimé.
Naturellement, il est trop tard pour aller aujourd'hui au Bureau du registre de l'État civil. Ce n'est que partie remise, le lendemain. Heureusement, c'est tout près de chez Tirso. J'arrive sur place vers 11h. C'est ouvert (ouf!). À l'accueil, tout le monde se dirige vers un petit homme en costume qui fait office d'accueil. Je lui dis que je viens pour faire faire ma carte de résident temporaire. Il me dit que je dois faire des photocopies de mon passeport, de mon visa et du papier mal imprimé que j'ai obtenu hier au Bureau de la police internationale. Ah... Ç'aurait été bien de le savoir avant! Et je vais vais où pour les photocopies? On peut les faire ici? Non, il faut aller dehors, naturellement. Heureusement, autour du Bureau du registre de l'État civil se trouvent des commerces et rôdent des marchands ambulants qui proposent toutes sortes de services connexes à la paperasserie administrative: plastification de documents et naturellement, photocopies. Je reviens donc 10 minutes plus tard avec mes photocopies sous le bras. On m'indique que je dois faire une longue file. Cette fois, j'ai prévu un livre. Tout à coup, un fonctionnaire nous avise qu'une partie de la file (dont moi) allons passer à l'étage supérieur. Sans trop comprendre pourquoi, je monte. On me donne un numéro: seulement 20 personnes avant moi! Yé! Mon tour vient finalement: la fonctionnaire remplit des papiers puis, inévitablement, me demande de payer pour l'ouverture de mon dossier: 8$. Décidément, on paie tout le temps ici. Heureusement que j'avais assez dans mon porte-monnaie, parce qu'on ne nous avise jamais qu'il y a des coûts! Ensuite vient le moment assez cocasse de la prise des empreintes digitales. La dame m'amène à une table où se trouvent de l'encre et un pot bleu rempli d'une substance blanchâtre. Elle s'applique ensuite à me barbouiller chaque doigt avec de l'encre puis me tend quelques essuie-touts. Elle me dit ensuite de plonger mes mains dans la substance blanchâtre, me souhaite bonne journée et me laisse en plan, avec mes affaires, les mains pleines d'encre et de crême. Après un débarbouillage fastidieux, je sors de l'édifice, impressionné par le fait que je n'y ai été qu'une heure. N'empêche, je dois revenir le 27 mars prochain pour y chercher ma carte. En supposant naturellement qu'elle soit faite à ce moment-là. On me suggère d'appeler avant pour vérifier, une perspective qui ne m'enchante guère. Parler au téléphone est déjà un peu complexe en espagnol pour moi, alors devoir en plus me faire comprendre auprès de fonctionnaires blasés... Enfin, j'ai bien hâte de voir ce que ça va donner!
Pour finir, l'anecdote du jour. Vu dans une fontaine du centre-ville de Santiago: un homme en bobettes en train de se raser à la pioche, la figure pleine de mousse. Parce que la baignade dans les fontaines publiques, c'est désormais trop mainstream.
À bientôt!! Et merci pour vos commentaires! J'espère que vous allez tous bien!
J'allais te dire de consulter tes collègues français sur les frais à débourser au Québec quand j'ai plutôt choisi de regarder moi-même sur les sites des universités. En commun, le CAQ (certificat d'acceptation du Qc) $107; le permis d'études $125;les ressortissants de plusieurs pays doivent passer un examen médical et/ou obtenir un visa d'entrée. Une assurance maladie et hospitalisation pour tout le séjour (ex:$332 par trimestre, UdeM). Les Français sont exemptés des frais de scolarité supplémentaires et paient la même chose que les Québécois (exemple 1er cycle: $2167 au lieu de $14000 à 19000 selon le programme, chiffres UdeM, plus cher à UL).
RépondreEffacerBonne chance pour le 27 mars.
K
Ça ne te réjouira pas de savoir qu'Agatha Christie disait comme toi en 1946 dans son blogue (livre) à propos des banquiers et de leurs timbres en Turquie: "On doit sans cesse débourser de petites sommes. Quand tout est réglé - du moins c'est ce que vous aviez cru -, vous êtes victime d'un nouveau hold-up!" mais j'ai trouvé son commentaire d'autant plus drôle grâce à toi.
RépondreEffacerK
Bonjour!
RépondreEffacerDésolé de ne pas être très rigoureux dans ma réponse aux commentaires! Oui effectivement les étudiants étrangers doivent aussi débourser de bonnes sommes lorsqu'ils étudient au Québec! C'est le lot de tout échange à l'étranger je crois!
La référence à Agatha Christie m'a bien fait sourire: c'est tellement vrai! Et au Chili, on applique vraiment le principe de l'utilisateur-payeur à la lettre... Tu veux prendre le métro? Tu paies pour chaque passage, pas question d'avoir de passes mensuelles! Tu es obligé par la loi d'enregistrer ton visa? Tu paies. La loi t'oblige à avoir une carte de résidence temporaire? Tu paies encore! Tu utilises les autoroutes? Tu paies, naturellement! C'est tellement différent de vivre dans un pays où l'État semble subventionner si peu d'infrastructures publiques pour soulager un peu le citoyen qui gagne déjà bien en deçà du coût de la vie! Mais c'est fascinant, comme le sont toutes les dissemblances avec chez soi remarquées lors les voyages :)
Merci encore pour les commentaires, j'apprécie beaucoup vous lire!
Je vais finir par être jalouse de Nora Farfan si ça continue!
RépondreEffacerxxx
Mémé